Lost in translation : comprendre l’impact écologique d’un vêtement

À l’heure de succomber à une nouvelle fringale vestimentaire, le dilemme coût versus impact écologique est souvent difficile à résoudre faute d’information claire et accessible.

 

Il est complexe de répondre à des questions aussi simples mais néanmoins fondamentales que : la fabrication de mon nouveau jean a-t-elle respecté l’environnement ? Qu’en est-il de la santé et des droits des personnes qui l’ont confectionné ? Quel est l’impact des matières premières utilisées sur les écosystèmes ? Le prix permet-il une juste rémunération de toutes les personnes impliquées dans sa conception, du champ à mon placard ?

 

Pour répondre à cet enjeu, les labels et certifications se multiplient mais pèchent par faiblesse. Conséquence, ils nous perturbent plus qu’ils nous éclairent. S’il n’existe pas à ce jour de solution universelle, des pistes d’actions individuelles et collectives émergent. 

 

SAVOIR POUR POUVOIR

Au-delà des discours éco-responsables, dans la grande majorité des cas, 100% des collections ne respectent pas l’environnement tout au long de la production d’un vêtement, du champ au dressing. 

 

Si l’on s’appuie sur la loi en vigueur à date, sur les étiquettes, non seulement, seuls le prix et la composition du vêtement sont obligatoires mais l’impact écologique ou social ne fait même pas partie des mentions facultatives. Et ce, sans compter que les informations les plus utiles, souvent cachées au fond d’un repli de notre nouveau pull préféré, requiert des contorsions de gymnastes pour y accéder.

 

Ainsi, les marques ne sont pas encore légalement tenues de partager, ni l’origine de la matière première des fibres du tissus, ni le pays de fabrication, ni ses conditions de fabrication, ni l’impact environnemental de leur produit. La loi sur l’économie circulaire votée en février 2020 entend y remédier mais son application n’est pas encore définie.

 

QU’EST-CE QU’UN VÊTEMENT ?

Avant de plonger dans les méandres de la problématique, remontons ses origines pour la comprendre. 

 

Un vêtement, c’est un cerveau gauche et droit réunis. Chaque pièce comporte à la fois une valeur esthétique intangible, héritière d’une marque, d’un style, d’une époque. L’ensemble connecté à nos émotions et la représentation que l’on souhaite donner au monde de soi. C’est aussi une valeur tangible : les ressources naturelles et  humaines ayant contribué à son existence.  

 

DE QUOI EST COMPOSÉ UN VÊTEMENT ?

L’industrie traite trois grandes familles de matières premières pour fabriquer une pièce : les naturelles, les synthétiques et les artificielles.

S’il est périlleux de comparer les démarches tant les paramètres sont multiples et les chaînes de valeur complexes, les matières naturelles comme la laine, le chanvre, le lin ou le coton, présentent des vertus environnementales même si leur surproduction les épuisent.

Les matières synthétiques, outre qu’elles sont issues du pétrole non renouvelable et polluant, se recyclent plus difficilement que leurs cousines naturelles. Pourtant, malgré ce bilan environnemental négatif, le polyester est présent dans la moitié des tissus et deux fois plus utilisé qu’il y a 20 ans, polluant chaque année autant que 180 centrales à charbon.

 

FABRICATION vs. RESPECTS DES DROITS DE L’HOMME

Une fois la matière première choisie, vient l’étape de la fabrication à laquelle se pose la question de la localisation, des conditions de travail et de respect des droits des hommes et des femmes. En effet, un prix bas est synonyme de conditions de travail a minima dégradées. 

 

La problématique s’est posée dans l’actualité de manière aiguë récemment avec le coton chinois. Certaines marques, comme H&M, après avoir été accusée par  un think tank australien, d’exploiter du coton issu du travail forcé des Ouïghours – cette minorité musulmane persécutée par le régime de Pékin – ont publiquement renoncé à s’approvisionner au Xinjiang. Mais le défi est de taille car 20% du coton utilisé dans le monde vient de Chine, et 85% est produit au Xinjiang,  la région des Ouïghours. La Chine reste un fournisseur incontournable, en tête des pays producteurs de coton en volumes. Mais Pékin n’est pas la seule à alimenter les doutes sur les conditions de travail de ses travailleurs et travailleuses, le Pakistan s’est également fait épingler en 2019 pour ses conditions de travail.

 

Kashgar, Xinjiang, China – octobre 2020 @Captain Wang

 

DISTRIBUTION vs. IMPACT ENVIRONNEMENTAL

Avant de rejoindre nos placards, un vêtement doit être transporté de son lieu de fabrication à son lieu de consommation. Un jean, par exemple, parcourt en moyenne 65 000 km de son champ de coton originel à son point de vente. C’est 1 fois et demi le tour de la planète. Et si le transport n’est pas la phase la plus polluante du cycle de vie d’un produit, l’industrie se repose sur le transport maritime qui n’est pas le meilleur élève environnemental. Il émet à peu près autant de gaz à effet de serre, les responsables du changement climatique, que le l’aviation internationale.

 

Si le transport maritime n’est pas exemplaire, son petit frère, le dernier kilomètre est également préjudiciable. D’autant que nos nouvelles habitudes – le développement du commerce en ligne – ne vont pas dans le sens d’un verdissement. Les taux y sont 2 à 4 fois plus élevés qu’en magasins physiques. Cela accroît le gaspillage : rien que pour l’année 2018 Amazon a détruit 3 millions de produits neufs invendus ou retournés et émet pour ses livraisons l’équivalent des émissions annuelles de la Bolivie. Il conduit à bétonner des terres agricoles pour abriter des entrepôts.  Et augmente le trafic routier en ville qui devrait doubler, par exemple, en Île-de-France d’ici dix ans avec l’augmentation des livraisons.

 

 

LABELS vs CERTIFICATION : VOIR LA LUMIÈRE (OU PAS)

Une certification, c’est une reconnaissance, accordée par une tierce partie à une marque. Cette validation, fondée sur des contrôles réguliers sur la base d’un cahier des charges, témoigne ainsi de la qualité, de l’origine et/ ou des conditions de fabrication d’un produit commercialisé. À ne pas confondre avec un label, qu’une marque ou un acteur peut créer pour elle seule et dont, par conséquent, on peut douter de la neutralité.

 

Mesurer l’impact environnemental – ce que la fabrication coûte à la planète – et l’impact social – comme ont été traités les hommes et les femmes qui l’ont fabriqué – c’est donc le travail des certifications. 

 

Problème, les certifications pullulent, intègrent des critères variés et différents, ce qui les rend peu lisibles pour les néophytes désireux·ses d’acheter informés. Certaines se concentrent sur l’aspect environnemental, d’autres sur l’aspect social, d’autres encore les deux. Certaines sont mondiales, européennes ou d’autres françaises uniquement. Enfin, d’aucuns accusent les certifications d’abaisser leurs niveaux d’exigence pour satisfaire des entreprises soucieuses d’afficher un blanc-seing environnemental à moindre effort. Bref, c’est parfois nébuleux.

 

Si on devait n’en retenir que deux parmi ceux qui existent sur le marché, on entend souvent dans la bouche des acteurs du secteur que la référence serait GOTS. De son nom complet, Global Organic Textile Standard, il a été créé dans le but d’harmoniser la certification des textiles biologiques. Il valide deux niveaux: 95% ou 70% de fibres biologiques minimum par pièce et exige une politique environnementale globale des entreprises qu’il certifie. 

 

D’aucuns citent également l’éco-label européen. L’ADEME le tient, par exemple, en estime car il veille à l’impact environnemental d’un vêtement du champ à la recyclerie. Il intègre des critères de durabilité et sociaux comme l’égale rémunération et le non recours au travail des enfants de moins de 15 ans.

 

D’autres, enfin, comme le Global Recycled Standard, attestent, comme son nom l’indique de la présence de matière recyclée. Pour celles et ceux qui voudraient creuser, l’ADEME a analysé une centaine d’entre eux et retenu les plus vertueux.

 

Aujourd’hui, outre le manque de transparence, les défenseurs de l’environnement reprochent aux certifications leur superficialité qui permet aux acteurs de se concentrer uniquement sur un aspect ou une étape de la production. Aucun, à ce jour, ne permet d’attester de la bonne conduite globale d’un acteur au plan environnemental et social, sous-traitant inclus. Cette démarche repose alors sur la bonne volonté individuelle des marques. 

 

On le comprend faute de lisibilité et/ou d’exhaustivité, les certifications actuelles ne permettent pas d’acheter éclairé, en comprenant les enjeux sociaux et environnementaux d’une pièce donnée. 

 

 

BACK TO BASIC

Aux acteurs du secteur de pallier le manque et d’établir ensemble un nouveau standard international permettant aux consommateurs de comprendre simplement l’impact environnemental et social de leur achat. Pour être éclairante, une telle certification devrait, à notre sens, reposer sur 3 piliers : 

 

L’origine

 

Quel pression environnementale exercent les matières premières utilisées pour confectionner ma nouvelle jupe ? Les ressources de cette matière sont-elles finies ou infinies ? Sa culture ou production néglige-t-elle l’environnement ?

 

La fabrication 

 

Quelles sont les conditions de travail des femmes et des hommes qui ont confectionné mon vêtement ? Quel salaire, quelles conditions sanitaires ? On peut ajouter à cette équation la distance entre le lieu de fabrication et de consommation. Est-ce qu’il est censé de faire faire plusieurs aller-retours terre-lune à nos dressings quand on connaît le poids environnemental du transport mondial ?

 

 

La distribution

 

Bien que contre-intuitif, l’impact environnemental du commerce en ligne – et ses corollaires : augmentation des livraisons et des retours – est indubitable.

  

CE QUI NE SE MESURE PAS N’EXISTE PAS

Bien qu’imparfaites, les certifications environnementales quantifient ce qu’aujourd’hui le prix ne mesure pas. En excluant le coût social et environnemental des vêtements, nos étiquettes les invisibilisent et nous rendent aveugles à l’heure d’acheter un nouveau jean.

 

Faute de standard accessible, charge à nous, consommateurs, d’éviter de créer des préjudices que nous avons de plus en plus de peine à justifier. Mais il faut avouer que nous sommes dépourvus d’outil pour faire des choix éclairés. Faute de mieux, on peut se poser des questions avant chaque achat : est-ce que le faible prix permet une juste rémunération ? Est-ce que ma pièce est produite à l’autre bout du monde ? Ai-je besoin d’une matière synthétique ? Enfin, et surtout, ai-je vraiment besoin de cette nouvelle pièce ?

 

Article rédigé par Charlotte Richard, pour weturn (15/04/2021)