Chili – 1800 km de Santiago – Désert d’Atacama
Alors que nous pensions arriver dans une zone aride et inoccupée, face à nous, s’élève une gigantesque montagne colorée.
Nous pourrions parier sur une merveille de la nature, mais en nous approchant, nos yeux s’arrêtent sur quelques milliers de paires de chaussures, pulls multicolores, jeans et bien d’autres textiles. Le soleil brille et se reflète sur les robes à sequins. Les chaussettes, elles, fanfaronnent un peu moins et viennent se camoufler derrière des blousons de ski.
Nous levons la tête, l’ascension est fulgurante. Ce n’est pas une montagne spectaculaire qui se dresse devant nous mais bel et bien une décharge de vêtements, entassés les uns sur les autres. Usagés pour certains, encore étiquetés pour d’autres, laissez-nous vous expliquer pourquoi et comment ils se retrouvent à des milliers de kilomètres de notre garde-robe.
59 000 TONNES DE VÊTEMENTS ENVOYÉS CHAQUE ANNÉE AU CHILI
Revenons quelques années plus tôt lorsque le Chili se spécialise dans le commerce de vêtements de seconde main. Depuis près de quarante ans maintenant, 59 000 tonnes de vêtements du monde entier provenant d’Europe, d’Asie ou encore des États-Unis arrivent chaque année au port d’Iquique, dans la région de Tarapacá, sur la côte ouest du pays.
Là-bas, quelques vêtements sont triés et remis sur le marché de la seconde main quand d’autres sont exportés dans les pays voisins.
Le sort de la majeure partie restante est bien différent. Les moins chanceux sont envoyés directement dans les décharges à ciel ouvert d’Alto Hospicio, à plusieurs kilomètres d’Iquique.
Effectivement, face au manque d’espaces de stockage dédiés à cet usage et à la croissance exponentielle des arrivages, l’issue de secours, la plus proche et la moins coûteuse reste le désert.
Ainsi, près de 39 000 tonnes de déchets se retrouvent jetés, là-bas, dans le désert d’Atacama.
LA POUBELLE GÉANTE DE LA FAST FASHION
La conséquence de cette catastrophe socio-environnementale est étroitement liée à la tendance de la mode éphémère. Est-ce vraiment nécessaire de vous rappeler le modèle sur lequel repose la fast fashion ? Cette mode jetable qui propose plusieurs dizaines de collections par an à bas prix.
Selon l’ADEME, plus de 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année dans le monde, avec une production qui ne cesse de croître jour après jour. Entre 2000 et 2014 cette dernière avait déjà doublée, selon une étude des Nations unies de 2019.
Imaginez aujourd’hui, en 2022.
Les revers de cette industrie qui alimente notre dressing en deviennent absolument détestables. Car le désert d’Atacama n’en est « qu’un parmi tant d’autres ». En Afrique, le Ghana est également devenu un véritable cimetière du textile, recevant près de 160 tonnes de déchets vestimentaires par jour.
DE NOTRE GARDE-ROBE AU DÉSERT D’ATACAMA
La vérité nous a longtemps échappée. Alors que nous pensions « juste » faire le tri dans notre garde-robe avec en somme, une bonne action auprès des associations, pourquoi finissons-nous complices du saccage d’Atacama ?
Il arrive, pour la plupart d’entre nous, de faire le tri dans notre dressing. Vous savez, le fameux grand ménage de printemps ? Naturellement et comme bon vous semble, une fois le tri terminé, vous déposez vos sacs en point relais. Eh bien, c’est à cette étape que les choses se compliquent.
Aujourd’hui, l’afflux de vêtements entrants dans les associations est tel que ces dernières se retrouvent avec des quantités ingérables.
Elles doivent alors procéder à plusieurs tris pour ne garder que la crème de la crème. Le reste est redistribué en frippes, vers les populations en situation de précarité mais aussi, et à notre plus grand désespoir, à l’étranger, dans les filières de distribution qui se sont développées au cours de ces dernières années.
C’est ainsi que certains pays se retrouvent avec des millions de tonnes de vêtements sur le dos.
Il fut un temps où l’Afrique et ses nombreux marchés de revente en tiraient bénéfice. Mais aujourd’hui, devenus de véritables plaques tournantes de la seconde main, les pays se trouvent étouffés dans ces montagnes de textiles.
Manquant d’infrastructures de stockage, leur seule issue est de déposer ces vêtements dans les déserts environnants, donnant naissance à ces décharges géantes.
DES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES
Au-delà d’entacher les cartes postales du Chili, ces décharges ont des conséquences extrêmement désastreuses sur l’environnement.
Aucun de ces vêtements n’est biodégradable et l’incommensurable quantité de composants chimiques présents dans chaque pièce viennent polluer l’air ainsi que les nappes phréatiques. Vous vous doutez que les déplacer reviendrait trop cher, alors tout bonnement, on les laisse là et on attend.
CONSCIENTS DE CELA, QUI DEVONS-NOUS POINTER DU DOIGT ?
Face à ce véritable désastre écologique et social, trouver un coupable serait certainement la solution pour en finir avec tout ça. Mais en fin de compte, si chacun d’entre nous avait sa part de responsabilité ?
Les marques qui poussent à la surconsommation pour voir grossir leurs bénéfices. Ces dernières qui nous proposent des dizaines de collections chaque année, un panel immodéré de styles, couleurs et matières, nous faisant tomber dans une spirale infernale. Si nous voulons voir un changement, il est primordial que les entreprises apprennent à produire en s’appuyant sur le besoin et non sur une demande superflue.
Le consommateur, perdu dans cette course à la surconsommation effrénée. Victime malgré lui mais cherchant en permanence à se conformer avec le reste de la société, il achète puis jette. Pour finalement acheter encore plus et jeter encore plus. Les consommateurs doivent se raisonner, stopper leur frénésie vestimentaire et apprendre à consommer durablement.
La pensée globale qui nous laisse voir le monde associatif comme une poubelle géante. Nous avons presque tendance à oublier la première vocation des associations, celle de partager avec les plus démunis. Les associations sont devenues de véritables débarras et, par manque de moyens, elles ne peuvent tout redistribuer. Alors, si nous apprenions à les reconsidérer et leur fournir le soutien financier dont elles ont besoin ?
Enfin, l’absence de filières de recyclage adaptées. Alors que les autorités favorisent toujours plus de croissance, elles incitent la production de masse sans anticiper les conséquences de fin de vie des produits. Un véritable déni de leur part surtout lorsqu’elles ont affaire, devant leurs yeux, aux cris de détresse des populations touchées par cette calamité.
L’HEURE DU CHANGEMENT
Pourtant, face à cette croissance exponentielle de déchets textiles engorgeant le désert d’Atacama, de belles initiatives ont été prises. À vrai dire, lorsque l’on sait que 2/3 des 59 000 tonnes de vêtements arrivant au Chili chaque année finissent dans des décharges sauvages, on se dit qu’il y a quelque chose à faire !
C’est Ecocitex et Ecofibra qui ont ouvert le bal du changement. Et on espère sincèrement que ce ne seront pas les derniers !
C’est en 2020 qu’Ecocitex s’est lancée. L’entreprise ayant pour but ultime d’éliminer les déchets textiles du Chili vient réutiliser les vêtements en bon état et collecter les plus usagés pour les transformer en fils recyclés.
En plus du rôle primordial qu’ils jouent dans la préservation des terres chiliennes, Ecocitex favorise l’insertion sociale des femmes, privées pendant longtemps de leur liberté à la suite de leur incarcération.
Et 118, c’est le nombre de tonnes de textiles qu’ils ont réutilisés et recyclés jusqu’à présent ! Un grain de sable pourtant. Une fois mis en décharge et contaminés, les produits peuvent de moins en moins être recyclés.
En parallèle, Ecofibra a vu le jour quelques années plus tôt, en 2016. Elle collecte les vêtements pour en fabriquer des panneaux d’isolation thermiques et acoustiques. L’entreprise prône la revalorisation de produits auparavant enterrés, détruits. Malgré ces initiatives, les afflux de vêtements à destination des décharges textiles ne cessent d’augmenter. Les mesures prises doivent être plus conséquentes si on veut remédier au problème une bonne fois pour toute.
QUELLES SOLUTIONS EN FRANCE ?
Pour orienter votre garde-robe vers des solutions de seconde-main locales, il existe d’autres solutions que les points relais et les associations. Par exemple, les start-up FAUME, Lizee ou Reflaunt permettent de retourner nos produits à nos marques préférées, qu’elles redistribueront au sein de leurs réseaux et points de vente (retail ou digital). Des plateformes comme Vinted et Vestiaire Collective favorisent les échanges directs entre consommateurs pour vendre nos produits, pas si démodés. La mode va et vient.
En parallèle, pour limiter le gaspillage et créer de nouvelles filières de recyclage, la Loi Anti-Gaspillage ou Loi AGEC a été votée il y a deux ans. Cette dernière, s’attaquant à différents sujets, a pour objectif de changer les modèles de production, de consommation, de gestion de la fin de vie, en encourageant une réduction considérable des déchets et un pas vers l’économie circulaire.
Cette loi est principalement orientée vers les entreprises et professionnelles.
Depuis le 1er janvier 2022, elle interdit notamment aux acteurs du textile de détruire leurs invendus. Sujet prioritaire avant de s’engager concrètement dans le développement durable : prendre conscience des volumes produits vs. distribués pour mieux évaluer le besoin et les attentes des consommateurs.
Dorénavant, les entreprises devront se tourner vers de nouvelles solutions : le don aux associations, mais uniquement en réponse à un besoin clairement exprimé au préalable, la réutilisation de leurs matières pour créer de nouvelles pièces (réemploi/ »upcycling ») ou encore le recours au recyclage, solution que nous proposons chez Weturn.
En espérant ainsi que ces mesures parviennent à régler le problème à sa source, et que nous ayons tous une meilleure compréhension de l’avenir de notre garde-robe. Cela passera donc par un effort collectif, guidé par un seul et même objectif « faire moins mais mieux ». Ou « less is more » comme dirons certains.